HS#1 - Xavier Petit grand homme

Dieu avait mis 6 jours pour créer le monde !!! Bon ça c’était fait.

Tom et moi avions décidé de relever un défi bien plus ardu. Créer une guitare en 5 jours !!!

Ho, je vois déjà les esprits chagrins prêts à nous diffamer « tu parles, ils vont aller chez Milonga acheter les pièces en kit et faire un montage approximatif au fond de leur garage ».

Que nenni Messeigneurs, nous avions décidés de partir de la base, c’est-à-dire aller abattre le premier chêne centenaire avec notre Opinel et tailler dans la masse le futur objet de nos rêves.

Bon n’exagérons rien, il existe une alternative entre ces deux extrêmes.

Au hasard de ses pérégrinations sur internet, Tom avait découvert qu’un certain « Xavier Petit » Luthier de son état proposait d’accompagner les néophytes que nous étions dans la réalisation complète d’une guitare.

Rendez-vous était donc pris pour la dernière semaine de juillet chez notre « artiste ».

Comme tout grand gourou, la quête de Xavier Petit n’était pas une mince affaire, il ne résidait non pas dans une grotte au sommet des pics enneigés tel un ermite, mais il habitait tout de même le « trou du cul du monde ».

Le stage durant 5 jours (comme expliqué précédemment) il avait fallu trouver un gîte pour nous accueillir.

ROUELLES, vous connaissez ? Et bien, c’est l’anus du trou du cul du monde, c’est bien simple après Rouelles la route s’arrête et comme tout le monde sait que la terre est plate et bien sachez qu’après Rouelles, on tombe dans le vide « Sic »

Quoi qu’il en soit notre arrivée à Rouelles le dimanche fut assez surprenante, le GPS commença à bafouiller 20 bornes avant l’arrivée puis d’un coup la radio s’arrêta et nous nous sommes retrouvés projeté dans la cinquième dimension.

1er jour

« Tut Tut » Réveil !!! Les apprentis luthiers, il est l’heure d’aller mettre vos talents en action.

L’atelier spacieux et bien équipé attendait déjà les stagiaires qui étaient au nombre de 4.

L’énumération des consignes de sécurité ainsi que du planning de la semaine ouvrirent le bal de cette semaine créative.

Les billes de bois, Acajou pour certains et érable acajou pour d’autre attendaient sagement que nos apprentis prennent l’initiative de les mettre à l’épreuve de la scie à ruban qui dans son bruit caractéristique annonçait que la partie n’était pas gagnée, bah oui jouer de la guitare avec des doigts en moins ça fait désordre (Même pas peur), pas vrai Tom !!!

Ca y est la « forme prenait forme » et l’on pouvait déjà deviner « les Wolfgang et autres les Paul ».

Le corps de l’instrument sortait lentement des copeaux qui embaumaient l’atelier.

La défonceuse (mais non ce n’est pas une copine) taillait dans la masse les emplacements des futurs micros et autres potentiomètres, ça commençait à avoir de la gueule, mais nous étions encore loin du compte et les premiers balbutiements de l’instrument n’étaient pas pour maintenant.

Chacun dans son coin vaquait à sa tâche, perdu dans ses pensées, c’était une sensation bizarre d’imaginer que ce bout de bois inerte allait prendre vie dans quelques jours et nous accompagner pendant de nombreuses années. C’était vraiment une naissance et pour l’instant, nous en étions au stade de la séparation de l’ovule, mais il y avait eu fécondation et c’était bien là l’essentiel.

Les heures défilaient et aux dires du maître luthier, l’équipe était plutôt bien en rythme.

Les limes et cales de ponçage avaient commencé leurs ballets et on pouvait sentir la douceur du bois sous les doigts poussiéreux.

La pose du «Binding » (liseret de décoration) clôtura cette première journée Thomas y laissa la peau de ses Doigts ( bah oui la colle Cyanolite ça ne pardonne pas).

Retour dans le charmant petit gîte ou un repas frugale et le visionnage d’un « long dimanche de fiançailles » clôtura cette première journée.

2eme jour

La nuit fut brève et agitée.

Ho non, pas de cauchemars à l’horizon, mais plus une excitation et une impatience de retourner bosser sur nos futurs chefs d’œuvre.

Le petit-déjeuner fut avalé à la vitesse de la lumière et les 30 km qui nous séparaient de l’atelier ne furent qu’une formalité.

L’odeur des copeaux de bois se faisait sentir dès le parking.

La journée commença par une concentration maximum et pour certains l’alignement des neurones ne se fit pas sans mal. Effectivement après avoir travaillé la veille sur le corps de l’instrument le début de la matinée et sans doute de la journée entière seraient consacrées à la réalisation du manche de l’instrument, il était temps de marier les essences de bois précieux Ebène entre autre avec l’acajou (prononcé acajououou par le maitre luthier).

La précision des prises de cotes liées à l’usinage avec des tolérances minimum de ces parties délicates de l’instrument ajouta un certain stress dans l’équipe et l’on déplora quelques menus incidents , comme un « vrillage de manche ( tout était à recommencer, un ponçage un peu trop appuyé qui eut pour conséquence de faire chauffer le bois qui ne demanda plus qu’à se fendre et ainsi de suite, mais Xavier « le sauveur » fit en, sorte de tout remettre dans le sens de la marche .

La pose des trussroad (réglage du bombage de manche), ainsi que l’incrustation des touche de nacre acheva pratiquement la construction de cette pièce si stratégique , il ne restait plus que la pose des frets (petits morceaux de laiton qui délimite les cases sur le manche) et l’inévitable ponçage pour parfaire les manches, mais il était temps de regagner notre gite perdu au fond des bois et demain serait un autre jour.

3eme Jour

Houla !!! Les gars !!! Effectivement demain (donc aujourd’hui) est un autre jour. Le réveil fut assez difficile. Sans doute, l’accumulation des heures de traçage, ponçage, défonçage, etc ... le prix à payer pour avoir la plus belle guitare du monde.

« Je ponce donc je suis » ça pourrait être la phrase du jour.

La punition commença très tôt le matin, pour se terminer très tard et mes doigts s’en souviennent encore, c’est simple le papier de verre avait fini par faire disparaitre mes empreintes digitales et la poussière d’ébène avait teintée à jamais mes doigts en noir.

Ha oui petite précision, la couche supérieure du manche de la guitare est en ébène et afin d’avoir une régularité irréprochable de cette pièce maitresse, il est indispensable de lui donner une forme bombée que l’on appelle radius ( oui comme l’os) et croyez-moi, ce fut un sacré os, car ce ponçage particulier requière un doigté particulier et malgré une dépense d’énergie considérable et une concentration sans faille, ce fut un « foirage total » le manche de l’instrument ressemblait plus à une hélice d’avion qu’a autre chose et pour clore le tout sachez cher lecteur que l’ébène est dur comme de la pierre, c’est comme essayer de polir un rocher en granit avec le dos d’une petite cuillère le bagne quoi.

De son côté Tom se battait comme un beau diable à essayer d’égaliser le manche en érable de sa gratte, voulant éviter de faire de vilaines rayures sur la pièce de bois, il avait décidé d’éviter la lime et de tout faire au papier de verre et à raison d’un centième de millimètre par heure la guitare serait terminée pour Noël.

La chaleur liée à une dépense d’énergie considérable acheva nos apprentis luthiers, mais le résultat en valait la peine, les guitares commençaient vraiment à avoir de l’allure.

Une petite Desperado accompagnée de brochettes clôtura cette journée bien épuisante. A demain

4eme jour

Les réveils sont de plus en plus difficiles, mais c’est pour la bonne cause me direz-vous.

Les quelques kilomètres qui nous séparaient de l’atelier étaient l’occasion de débriefer des journée précédentes et d’appréhender la journée à venir.

Après avoir passé la journée de la veille à trimer comme des bagnards, nous étions certains que la suivante serait plus tranquille, en effet le plus gros du travail avait été accomplis. Le corps et le manche des guitares étaient maintenant terminés et il ne restait plus qu’à assembler ces deux éléments.

C’était un moment crucial et symbolique, l’union des deux morceaux étaient soit vissé pour Tom soit collé pour Bernard.

Un dernier coup de papier de verre au grain de 220 (autrement dit très très fin) fut appliqué, plus pour se rassurer que par nécessité, car les instruments étaient devenus aussi lisse que des fesses de bébé.

Certaines petites personnalisations comme la gravure des surnoms ou le prénom de la petite amie fut la touche finale avant le passage dans la cabine de vernissage.

Xavier se chargea de cette tache si délicate et particulière et c’est sous le regard curieux et un poil anxieux que le maître luthier déposa les fines couches de vernis sur notre labeur de plusieurs jours.

La journée se termina plus tôt que prévue. Un nettoyage en règle de l’atelier fut réalisé et quelques bouteilles de bière vinrent clôturer cette belle journée.

Les instruments séchaient gentiment dans le sas de la cabine de vernissage en attente de la dernière journée de travail consacrée à l’accastillage des guitares, c’est-à-dire au montage de toute la partie électronique ainsi que le chevalet, sillet, cordes, etc.

Allez, à demain.

5eme jour

Bon et bien ça y est, c’est la dernière longueur. Je ne vous cache pas que l’excitation est au Rdv . Pensez donc les guitares avaient passé toute la nuit à sécher et nous étions assez impatients de découvrir le résultat.

Roulement de tambours !!! Nous entrons dans la cabine de séchage !!! Le résultat dépasse toutes nos espérances, elles sont magnifiques et qui plus est, le vernis a gommé les petits défauts qui restaient visibles.

Bon, il n’était pas question de faire la moindre rayure lors du montage de la partie technique, c’est pourquoi nos serviettes de toilette furent réquisitionnées afin de servir de tapis de travail pour accueillir les précieux instruments.

Nous pensions que cette dernière journée serait relax et bien c’était une sacrée erreur, car le montage des micros des potentiomètres et autres chevalets n’était pas une mince affaire.

En effet, nous avions passés toute la semaine à peaufiner les formes, les détails ainsi que le ponçage, il n’était pas question de se laisser aller sur la fin de stage,

L’ajustement des potentiomètres était tout un art, il fallait qu’ils soient tout à fait parallèles au corps de la guitare et je vous prie de croire que la « Dremel et les cales de réglage sont bien rentrées en action.

La partie soudure des composants électroniques était l’avant-dernière étape, et pendant que les vapeurs d’étain me piquaient les yeux, je pouvais entendre les premières notes de la guitare de Tom. Ca y est, elle était née et ses premiers sons étaient plutôt bien agréables.

Le montage et l’accordage des cordes achevèrent la construction.

Le « Jack » prit sa place, l’ampli était chaud le médiator affûté, il était temps de la faire rugir, Mais !!!!! rien pas de son pas d’image, que dalle !!! la gratte ne fonctionnait pas. M….E

Le maître luthier arriva à la rescousse, " Bon, c’est quoi ce Bordel , qu’est-ce que t’as foutu ". "Heu bah rien , j’ai suivi le schéma".

Bon et bien après le démontage du capot arrière (oui, comme sur une voiture) toutes les soudures furent testées.

Ce n’étaient pas ma journée ; trois pannes furent détectées (sélecteur défectueux « putain de chintoc y font que d’la merde » (dixit Xavier), soudure froide, mauvais contact, et enfin erreur de schéma.

Bon ça y est, tout avait été remis dans le bon ordre et la guitare émit ses premières notes , mais pas assez grave de l’avis de Tom.

Un dernier coup de tournevis acheva le réglage du micro et ce fut enfin la fin de cette belle construction.

Nous étions partagés entre l’envie de jouer et l’envie de contempler l’instrument et admettez que ce n’est pas facile de faire les deux à la fois.

Ce fut une belle aventure.

Aujourd’hui, la guitare est accrochée dans le salon, chaque soir elle m’accompagne.

Elle sonne à la perfection, il ne manque alors plus qu’un vrai guitariste pour lui donner toute sa dimension.

La morale de cette histoire est :

Il est plus facile de construire une guitare que de savoir en jouer !!!

PS : Un an après la disparition de Xavier, toujours une grosse pensée pour ses proches, sa femme et son fils. Son âme doit raisonner à chaque coup de médiator. Merci à mon père d'avoir pris note de cette superbe aventure.

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